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Torseurs, tenseurs… Et ta sœur !?

Jeudi matin, à l’heure où à l’ordinaire les gouttes de rosée règnent encore, tapissant de cette fraîcheur brillante les étendues herbeuses du domaine attenant au cabinet, les nuages par un coquin hasard avaient décidé de priver de lumière des champs plus boueux que verdoyants.

 

Incroyable mauvais temps !

 

S’il est propice aux nostalgies de toutes sortes je ne vous apprendrais pas qu’il l’est aussi aux lombalgies automnales atteignant en ce milieu de saison la gente sénioriale qui s’était, de ce fait, entassée cahin-caha dans une salle d’attente claire et chaleureuse certes, mais aux velux sous-employés, conséquence d’une avarice atmosphérique de rayons solaires.

 

Giovanni Giuseppi le père du charcutier, me confiait ainsi, alors que j’écoutais les sifflements geignants fruits de son asthme légendaire, que :

 

« Hier déjà… Le dos qui crie un peu, vous savez, comme des pointes, mais pas tout le temps… et dès que je bouge c’est la catastrophe, la douleur se propage, et je peux plus rien faire. Ca c’est le mauvais temps vous savez… Hier soir je le sentais déjà arriver… »

 

En rédigeant ma cinquième ordonnance de Voltarène (Claude), j’en vins à douter de la réelle utilité de mon action, qui, pour soulager le mal cyclique d’un vieux patient se limitait à quelques paroles rassurantes suivi d’une prescription de l’antalgique susmentionné. Alors que mon esprit errait entre le rêve d’une machine de type ‘à sous’, je veux dire par là munie d’un bras tournant actionneur de promesses, qui,  en disant quelques phrases stéréotypées de bienveillance active, enverrait des comprimés de Voltarène à son vieil utilisateur les jours de mauvais temps, et celui, à cent mille lieues de là qui me verrait organiser une sorte de ‘secrétaire académie’ qui permettrait au moyen d’un concours cabinet-réalité d’élire une nouvelle secrétaire pour ce lieu de soins, je fus bientôt happé par une particularité de l’anatomie de mon patient : une sorte de kyste violacé en forme de croissant encadrait la partie inférieure de son aisselle gauche !

 

D’abord surpris de ne pas avoir remarqué cette singularité auparavant, je le fus encore bien plus par sa surprenante homomorphie avec une autre que je connaissais fort bien, mon éminent collègue le docteur Pangloss ayant approximativement la même saugrenuité épidermique bien que dans des coloris moins prononcés, au même endroit de l’abdomen.

Si je n’en laissais rien paraître, j’avoue que cette découverte me laissa quelque peu décontenancé, mais, peu après le départ de mon patient, dépassant ma perplexité, je décidais sur un coup de tête des plus absurdes, de le prendre en filature. Trouvant le plus stupide des prétextes pour justifier mon départ, en l’occurrence celui d’une intervention chez un patient extrêmement souffrant, je m’échappais du cabinet par derrière, laissant à Josiane le soin d’expliquer au groupe de vieillards souffreteux l’impossibilité de les recevoir.

 

 

Après avoir bondi à travers les fourrés puis coupé à travers champs, faisant fi des conséquences calamiteuses que pourraient avoir un tel comportement sur mes chaussures en croco, je retrouvais la trace du père du charcutier, qui, entre parenthèses avait lui aussi défendu la bannière de la saucisse et de la tripaille en son temps, marchant d’un pas tranquille vers le cœur du quartier.

 

Reprenant mon souffle, je le suivais en maintenant une distance suffisante entre nous afin qu’il ne se rende point compte de ma présence. Après avoir parcouru trois cent mètres je le vis entrer dans un local de reprographie ; peu après, il en sortait une chemise cartonnée sous le bras. Il reprit son chemin qui le mena rapidement vers la pharmacie du coin-coin, tenue par Alfred et Ginette Canard à qui je dédicace ma prochaine opération d’appendicectomie, soit dit en passant.

 

Sortant le sourire aux lèvres, Giovanni Giuseppi accéléra un peu la cadence de son pas et j’en vins à m’émerveiller des prodiges de l’effet psychologique que pouvait engendrer le seul achat du remède à ses douleurs. En même temps je me demandais quelle mouche avait bien pu me piquer pour que j’agisse aussi sottement dans la poursuite totalement dépourvue d’intérêt et encore plus de sens (!) d’un vieux patient heureux d’avoir acheté ses médicaments, et qui de plus serait certainement surpris voire méfiant ou plus sûrement inquiété si je me signalais à lui pour lui faire part de ma préoccupation de son originalité dermique, commune à Gérard.

 

Quel était l’objet réel, de ma démarche ? Je m’avouais n’en rien savoir… Mais au fond de moi je pensais :

« As-t-il un lien de parenté avec Gérard ? Sont-ils Gérard et lui membre d’une secte obscure – à caractère charcutatoire ? – dans laquelle les adhérents se mortifient l’aisselle ? Auraient-ils été victimes du même tortionnaire Serbe pendant des vacances en Croatie qui auraient mal tourné au détour des événements fâcheux qui obscurcirent la vie de tant de Slaves à la fin du siècle dernier ? »

 

Reprenant le fil du réel je laissais mon esprit, alourdi de questions sans réponses plus absurdes les unes que les autres, à ses vagabondages, pour constater que pendant mes divagations, Giovanni Giuseppi sortait de sa troisième pharmacie de la matinée d’un pas maintenant alerte avec l’air guilleret de l’Aubagnais qui viendrait de produire le carreau décisif sur une boule cernée, en finale de la Marseillaise de pétanque.

 

Chargé d’un nouveau sac à la croix verte caractéristique, qu’il eut tôt fait d’engloutir sous son manteau informe, mon charcut’man en retraite repris le cours de sa marche vers la place du marché. Surpris et perplexe je commençait à douter de la sincérité de ses maux, comprenant d’un coup que le bougre avait reproduit son ordonnance et maintenant se chargeait d’une cargaison de Voltarène dépassant tout entendement ou du moins la dose prescrite pour sa seule et vieille personne.

 

M’interrogeant sur son honnêteté j’en vins à reconsidérer complètement la relation établie avec lui, en restant sans m’en rendre compte dans ma posture d’espion de vieux et sans agir autrement qu’en le suivant répéter encore son petit manège avant de le voir soudainement grimper sur un scooter pour m’échapper sans même s’apercevoir de mon désappointement exacerbé de curiosité.

 

 

(… du sustèïnse…)

 

 

à suivre, le ventre noué par l’angoisse,

 

 

 

votre Petit Agent Petiot .

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